On considère que la conversion de Cheikh Ibra Fall au mouridisme marque une date charnière en ce qu’elle va donner une nouvelle impulsion à la confrérie. Prédestinée, cette rencontre s’est déroulée dans des circonstances qui ont laissés perplexes les contemporains même de Serigne Touba. Et ce qui devait arriver, arriva : le décret divin s’accomplit, pour la plus grande gloire de l’islam en Afrique et dans le monde.
Après ses études coraniques complétées par la connaissances de la science islamique, Cheikh Ibra décida de quitter son fief originel. Quelles sont les raisons qui sont à la base d’une telle décision ? il serait périlleux de se livrer à une démarche qui partirait d’une seule hypothèse. A ce niveau il existe beaucoup de supputations et de conjectures parfois teintées de légende. Cependant nous partirons de deux versions pour avoir une approche qui aura la chance de nous mener vers la vérité.
En ce qui concerne la première, Cheikh Ibra nous est présenté comme étant un illuminé. Cette élévation mystique lui a toujours été reconnue par son entourage. Etant très jeune, il se plaisait à méditer et à se recueillir. On peut citer l’épisode du " Daxaar-Mbet " qui est le nom donné à un tamarinier célèbre de Ndiaby-Fall. Un jour, les villages de Ndiaby sont alertés par les cris d’une biche aux alentours de l’arbre. Ils accoururent en masse. Dès leur arrivée, le jeune Ibrahima Fall lâcha l’animal. A la question de savoir pourquoi il avait fait cela, il leur répondit. " N’avez-vous pas entendu ce que l’animal me disait ? Il me suppliait de lui laisser la vie sauve. En outre celui qui est pardonné (par Dieu) doit aussi savoir pardonner ".
De nos jours, l’arbre fait partie des sanctuaires pour le pèlerinage des fidèles.
On admet également que Cheikh Ibra parlait très souvent de celui qu’il doit servir (Cheikh Ahmadou Bamba). Suivant cette hypothèse, Cheikh Ibra Fall se sentait prédestiné à une mission qui devenait de plus en plus claire au fur et à mesure qu’il prenait de l’âge. Ainsi, à la maturité, l’illumination se transforme en rêve prémonitoire. Il aurait vu Serigne Touba en rêve et c’est à partir de ce moment qu’il décida de partir à sa recherche.
La seconde version communément admise par les chercheurs et l’administration coloniale, fait de Cheikh Ibra un riche commerçant dont les affaires prospéraient un peu partout dans les localités du Ndiambour, du Baol et du Kayor.
C’est au cours de ces nombreux déplacements qu’il rencontra Cheikh Ahmadou Bamba. La dimension mystique du Cheikh exerça un effet important sur lui et il gela toutes ses activités pour se consacrer au guide spirituel du mouridisme.
Cette dernière hypothèse est balayée par ce que l’on appelle les pérégrinations. En effet, il est établi que Cheikh Ibra Fall imbu de soif religieuses et d’un désir ardent de retrouver celui qui sera plus tard son maître, a séjourné dans plusieurs localités. L’inspiration divine lui avait suggéré le nom de Ahmadou Bamba, mais il ignorait au juste de quoi il s’agissait. Il semblerait qu’il aurait séjourné en Gambie quelques temps dans une localité du nom de ‘Bamba’. La dernière étape des pérégrinations est, sans doute, Taïba Daxaar chez un marbout du nom de Serigne Bamba Sylla. C’est là qu’il rencontra les émissaires de Cheikh Ahmadou Bamba venus remettre des présents à son maître qui s’était lié d’amitié avec Mame Mor Anta Sally.
Dans tous ces déplacements, Cheikh Ibra a cru retrouver le Bamba qui ne cessait de retenir dans son subconscient. Cheikh Ibra parvint à rencontrer Ahmadou Bamba, par l’entremise de Cheikh Adama Guèye qui faisait partie des émissaires venus vers Serigne Bamba Sylla ou Serigne Taïba Daxaar. La rencontre a eu lieu le 20 du mois de Ramadan à M’backé Kadjoor.
Lorsque Serigne Touba fut mis au courant que ses émissaires étaient revenus accompagnés d’un hôte, il demanda que celui-ci lui soit présenté. A la vue de Cheikh Ahmadou Bamba, Cheikh Ibra Fall se sentit transporté dans un autre univers. Il eut l’intime conviction qu’il venait de trouver ce qu’il avait tant cherché. Alors, il enleva son boubou et s’agenouilla devant Cheikh Ahmadou Bamba. Cette attitude témoigne d’une certaine philosophie dans la société woloff.
Un esclave se tenait dans la même position, torse nu devant le nouveau maître qui venait de l’acquérir. Cet épisode de la rencontre entre Cheikh Bamba et Mame Cheikh Ibrahima Fall revêt une importance capitale dans la compréhension de cette dialectique qui s’est tissée entre les deux hommes. L’attitude de Cheikh Ibra est pleine de symbolisme.
Mais c’est dans le discours qu’ils se sont tenus que tout ce symbolisme aura mieux rejailli. Il serait difficile voire impossible de rendre (en français) textuellement ce qu’ils se sont dits .
Serigne Bassirou Mbacké, nous en rapporte quelques éléments dans son ouvrage théologique ‘’ Les Bienfaits de l’Eternel’’ qui est une sorte de biographie de Serigne Touba Mbacké, nous en rapporte quelques éléments dans son ouvrage théologique intitulé ‘’ Les bienfaits de l’Eternel ‘’ qui est une sorte de biographie de Serigne Touba.
Ainsi le grand Mouride Cheikh Ibrahima Fall, qui fut d’ailleurs un des grands hommes de bonne intention a écrit : ‘’quand je me suis présenté au Cheikh pour lui faire serment d’affiliation’’. Je n’ai quitté ma maison que pour chercher un tel guide, je ne trouvais que sa tombe, la véracité de mon intention de suivre son exemple me ferait parvenir à mon objectif. Je vous prête serment de n’acquérir rien de ce monde et de me préoccuper exclusivement de Dieu et de la vie future. ‘’
Alors, le Cheikh lui répondit :’’O Ibrahima ! Quant à moi, si je n’avais des traces du Prophète que ces étoiles et ce ciel (qu’il est établi de manière authentique que le Prophète les regardant), j’aurais été sûr que mon intention à son service et mon amour pour lui m’assureraient la satisfaction de mes besoins et la conduite (dans la bonne voie) conformément au meilleur destin que Dieu Très-Haut a réservé à celui à qui il a été donné la foi et l’amour en lui. Cela dit, j’agrée votre serment et vous tiens à obéir aux ordres et à voter les interdictions et à orienter votre préoccupation vers Dieu. Mais n’attendez de moi dans cette vie ni abri vous protègeant du soleil ni autre bien matériel’’.
Le mouridisme a pris comme acte de naissance l’affiliation de Cheikh Ibra et la disparition de Mame Mor Anta Sally en 1883.
La présence de Cheikh Ibra et la disparition de Mame Mor Anta Sally sont les catalyseurs de l’émergence de cette confrérie. De 1883 au 30 juin 1930 date de sa disparition, Mame Cheikh Ibrahima Fall aura été le personnage central du mouridisme. Son empreinte y reste et demeure ad vita aeternam. Elle est encore visible à travers les Baay Fall.